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AURORA FLOYD

d’être heureuse sans la société de chiens de Terre-Neuve ou de terriers de Skye. Elle ne plaçait pas au-dessus de tout l’art moderne un tableau de Landseer, représentant des chiens. Elle aurait pu parcourir cent fois Regent Street, sans avoir l’envie de flâner sur le bord du trottoir, et de marchander à des vendeurs de mauvaise mine « un adorable petit chien. » Elle était tout à la fois comme il faut, et de bon ton, et Talbot pouvait, sans aucune crainte, la laisser faire ses petites volontés, et il n’avait pas besoin de lui faire comprendre la nécessité d’employer ses mains délicates à la rude tâche de soutenir la dignité des Raleigh Bulstrode.

Quelquefois elle l’enlaçait, moitié amoureusement, moitié avec timidité, et, regardant son époux avec un charmant sourire suppliant, elle fixait ses yeux sur son visage régulier et calme, elle lui demandait en le câlinant s’il était réellement, mais RÉELLEMENT heureux.

— Oui, mon enfant chérie, — répondait le Capitaine, depuis longtemps habitué à cette question, — parfaitement heureux.

La froideur de sa réponse contrariait bien un peu la pauvre Lucy, et, vaguement, elle souhaitait à son mari une ressemblance plus grande avec les héros de ses romans, et un peu moins d’attachement pour Adam Smith, Mac Culloch et les mines de Cornouailles.

— Mais vous ne m’aimez pas comme vous aimiez Aurora, Talbot ?

Il y avait des profanes qui abrégeaient le nom de baptême du Capitaine et l’appelaient tout simplement « Tal ; » mais Mme Bulstrode n’était pas plus capable de se servir de cette irrévérencieuse abréviation, que de dire, en parlant de sa gracieuse souveraine : la reine Vic.

— Mais vous ne m’aimez point comme vous aimiez Aurora, mon cher Talbot ? — insista la voix caressante, trop tendrement inquiète pour être contredite.

— Peut-être pas de la même façon que j’aimais Aurora, mon adorée.

— Pas autant, dites ?