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AURORA FLOYD

déjeuner chaque matin dans toute la virginité de sa toilette matinale. ⠀ Elle travaillait depuis environ dix minutes quand Mellish entra, sortant accablé, mais triomphant de sa lutte avec de simples multiplications et soustractions. John avait évidemment beaucoup souffert pendant l’action : ses épais cheveux châtains étaient réunis en masses qui se tenaient droites sur sa tête, sa cravate était détachée et le col de sa chemise ouvert pour le bien-être de sa large encolure. Quand il entra dans le salon, il portait sur sa personne ces marques d’une lutte acharnée ainsi que bien d’autres que nous passons sous silence.

— J’ai fini par battre en retraite, madame Powell, — dit-il, en laissant tomber son grand corps sur un des canapés, non sans faire courir de grands risques aux ressorts du siège ; — j’ai battu en retraite avant la chute du drapeau, car Langley aurait voulu me garder jusqu’à minuit : il m’a poursuivi jusqu’à la porte de ce salon avec quatorze boisseaux d’avoine qui sont portés sur le compte du grainetier et qui ne le sont pas sur le livre qu’il tient pour contrôler les comptes de ce digne négociant. Je lui demande pourquoi diable il ne les porte pas sur son livre tout de suite, pour en finir, au lieu de me tourmenter comme il le fait ? À quoi bon tenir un livre si les comptes qu’il y fait ne sont pas les mêmes que celui du grainetier ? Mais c’est fini, ajouta-t-il avec un soupir de soulagement ; c’est fini, et tout ce que je puis dire, c’est que j’espère bien que le nouvel entraîneur n’est pas si honnête.

— Savez-vous quelque chose sur le compte du nouvel entraîneur, monsieur Mellish ? — demanda Mme Powell d’un ton parfaitement naturel, plutôt avec l’intention d’amuser son maître, en causant avec lui, que pour satisfaire une curiosité mondaine.

— Oh ! bien peu de chose, — répondit John avec indifférence ; — je n’ai même pas encore vu cet individu ; mais il m’a été recommandé par Pastern, et je suis certain qu’il me conviendra. Et puis Aurora connaît cet homme ; il a été autrefois au service de son père.