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AURORA FLOYD

entendu chaque mot de ce court dialogue ; mais en ce moment, oubliant toute précaution, dans son empressement de tout entendre, elle avait levé la tête presque au niveau de l’entablement de la fenêtre. Au même instant, elle recula brusquement tremblante de terreur. Elle venait de sentir le souffle tiède d’une haleine sur sa joue, et sur sa robe le contact d’un vêtement d’homme.

Elle n’était pas seule à écouter.

Le second espion était Stephen Hargraves, l’idiot.

— Chut, — fit-il, en saisissant le poignet de Mme Powell, et en la maintenant dans sa position accroupie par la force musculaire de sa main calleuse ; — ce n’est que moi, Steeve l’idiot, vous savez bien ; le garçon d’écurie qu’elle (il accentua le elle avec tant d’impétuosité, qu’il faillit rompre brusquement le grand calme de la nuit), qu’elle a cravaché. Je vous connais, je sais que vous êtes ici pour écouter. Il m’a envoyé à Doncastre lui chercher ceci (et il montrait une bouteille qu’il portait sous son bras) ; il a cru qu’il me faudrait quatre ou cinq heures pour aller et revenir ; mais j’ai couru tout le temps, car je me doutais bien qu’il y avait quelque chose en l’air…

Il essuya sa face humide de sueur avec les bouts de sa méchante cravate.

Sa respiration était haletante, et Mme Powell pouvait entendre les violents battements de son cœur tant le silence était grand autour d’eux.

— Je ne vous trahirai pas, — dit-il, — et vous ne me trahirez pas non plus. J’ai encore sur mon dos les marques de la cravache avec laquelle elle m’a frappé ce jour-là. Je les regarde de temps en temps, et elles me raffermissent le souvenir. C’est une belle madame, et une grande dame ? Oui, sûrement ; mais cela n’empêche pas qu’elle vient voir le valet de son mari en cachette, et la nuit. Il se peut que le jour ne soit pas éloigné où elle sera à son tour chassée de ces lieux avec défense d’y reparaître ; fasse le Seigneur miséricordieux que je vive pour voir cela. Chut !…

Il n’avait pas lâché le bras de la veuve. Une pression de sa main de fer lui imposa silence, et la força de baisser la