Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
AURORA FLOYD

— Non, non, John, dit-elle ; ce n’est pas là ce que je veux dire ; je sais que vous éprouveriez un grand chagrin, si je mourais. Mais supposez que quelque chose vienne brusquement à nous séparer pour toujours, quelque chose qui me force à quitter cette maison pour n’y plus jamais revenir. Eh bien, alors ?

— Alors, Lolly, — répondit gravement Mellish, — je préfèrerais voir votre cercueil placé dans la niche vide qui est voisine de celle où repose ma mère : sous la voûte, là bas…

Et il étendait le bras dans la direction de l’église paroissiale qui n’était pas éloignée des grilles du parc.

— … que me séparer de vous de cette manière. J’aimerais mieux vous savoir morte et heureuse que d’ignorer quel serait votre sort. Oh ! ma chère enfant, pourquoi me parlez-vous de ces choses ? Je ne pourrais vivre loin de vous, je ne le pourrais pas. J’aimerais mieux vous prendre dans mes bras et me précipiter avec vous dans l’étang du bois ; j’aimerais mieux vous percer le cœur d’une balle et vous voir étendue morte à mes pieds.

— John !… John !… mon bon et bien-aimé John !… — dit-elle, son beau visage s’illuminant d’un éclat nouveau, semblable à ces rayonnements du soleil qui percent tout à coup la nue épaisse. — Pas un mot de plus, cher ; nous ne nous quitterons jamais… Pourquoi nous quitterions-nous ?… Il n’est guère de choses en ce monde que l’argent ne puisse procurer ; eh bien ! il nous procurera le bonheur. Nous ne nous quitterons jamais…, jamais… mon mari adoré !…

Elle partit d’un joyeux éclat de rire en épiant son visage inquiet et effaré.

— Oh ! mon bon John, comme vous avez l’air effrayé ! — dit-elle. — Ne savez-vous pas encore que j’aime à vous tourmenter de temps en temps de ces sortes de questions, tout simplement pour voir vos gros yeux bleus s’ouvrir de toute leur grandeur ? Rentrons, cher ; Mme Powell va nous foudroyer de ses regards en nous voyant rentrer, et va faire sa réplique de convention à nos excuses, à l’effet de