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AURORA FLOYD

— Oui, madame, M. Mellish m’a chassé de la maison où j’avais vécu pendant près de quarante ans ; mais j’ai une autre place, maintenant, et mon nouveau maître m’a envoyé vers vous avec cette lettre.

Il épiait l’effet qu’allaient produire ses paroles, et il vit une teinte livide succéder à la pâleur de la jeune femme.

— Quel nouveau maître ? — dit-elle.

Hargraves, levant le bras, indiqua le chemin par lequel il était venu. Elle suivait le mouvement de la main de l’homme, et ses yeux semblèrent grandir quand elle vit quelle direction il indiquait.

— Votre nouveau maître est l’entraîneur James Conyers, l’homme qui occupe le cottage ? — dit-elle.

— Oui, madame.

— À quoi vous emploie-t-il ?

— Je lui tiens sa maison, madame ; je fais ses courses, et j’ai apporté une lettre.

— Une lettre ?… Ah ! oui, donnez-la-moi.

L’idiot lui tendit la lettre. Elle la prit lentement sans quitter des yeux le visage de l’homme, mais l’épiant avec une persistance qui semblait vouloir approfondir quelque chose sous les sinistres yeux rouges qui croisaient les siens. Son regard trahissait une terreur secrète et un vague désir de pénétrer le secret d’Hargraves.

Elle ne jeta pas les yeux sur la lettre, mais la tint à demi-froissée dans la main qui pendait à son côté.

— Vous pouvez vous retirer, — dit-elle.

— Je dois attendre la réponse.

Les noirs sourcils se contractèrent de nouveau, et cette fois la lueur d’une fureur qui s’allume brilla dans ses grands yeux noirs.

— Il n’y a pas de réponse, — dit-elle en jetant la lettre dans son sein ; puis se tournant pour s’éloigner, elle ajouta : — Il n’y a pas de réponse et il n’y en aura pas avant qu’il me convienne d’en faire une. Dites-le à votre maître.

— Ce n’était pas une réponse écrite que j’attendais, — persista l’idiot, — ce devait être oui ou non, mais il fallait que je la tienne de vous.