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AURORA FLOYD

— Un message… une lettre…… — répéta-t-il, — pour M. Mellish ?

— Non, pour madame.

— Mais je n’ose pas, — s’écria Hargraves, — je n’ose pas approcher de la maison, encore moins oserai-je lui parler. Je n’oublie pas le jour où elle m’a battu. Je ne l’ai jamais revue depuis, et je n’ai pas besoin de la revoir. Vous croyez que je suis un lâche, n’est-ce pas ? — dit-il, en s’arrêtant tout à coup et regardant l’entraîneur, sur les lèvres duquel on voyait un sourire de mépris ; vous croyez que je suis un lâche… n’est-ce pas… dites ? répéta-t-il.

— Dame ! je ne te crois pas d’une vaillance sans pareille, — répondit Conyers ; — avoir peur d’une femme, quand elle serait le diable en personne…

— Voulez-vous que je vous dise ce qui m’effraye tant ? — dit Hargraves en sifflant les mots à travers ses dents serrées, et de la voix désagréable qui lui était particulière. Ce n’est pas Mme Mellish que je crains, c’est moi-même, c’est ceci ; il serrait un objet caché dans la poche de son pantalon en parlant ainsi, c’est ceci… Je crains, en m’approchant d’elle, de n’être plus maître de moi, et de m’élancer sur elle pour lui couper la gorge. Je l’ai vue souvent dans mes rêves avec sa superbe gorge blanche, d’où s’échappaient des flots de sang ; malgré cela, elle tenait toujours la cravache dans sa main, et elle me raillait. J’ai bien souvent rêvé d’elle, mais je ne l’ai jamais vue immobile et morte ; et je ne l’ai jamais vue sans sa cravache à la main.

Le sourire méprisant disparut des lèvres de l’entraîneur pendant que Hargraves faisait cette révélation de ses sentiments, et fit place à une expression sombre et rêveuse, qui s’étendit sur tout son visage.

— Je n’ai pas moi-même une si grande affection pour Mme Mellish, dit-il, mais elle pourrait vivre aussi longtemps que Mathusalem, que cela me serait indifférent, si elle voulait…

Il murmura quelque chose entre ses dents, et, dispa-