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AURORA FLOYD

le plus faible murmure de cette petite voix enfantine de parvenir à ses oreilles, toujours sur le qui-vive et toujours empressées.

Il la regardait grandir comme un enfant regarde croître un gland qu’il espère voir devenir chêne. Il répétait les syllabes qu’elle balbutiait, au point que l’on était fatigué de son bavardage incessant à propos de cette enfant. De tout cela il résulta naturellement qu’Aurora fut gâtée, dans toute l’acception du mot. Nous ne disons pas qu’une fleur est gâtée, parce qu’elle est cultivée dans une serre où aucun souffle de l’air ne peut l’affecter trop rudement ; mais dans ce cas, la brillante plante exotique est certainement taillée et émondée par la main impitoyable du jardinier, tandis qu’Aurora se développait sans entrave, et il n’y avait personne pour élaguer les branches vagabondes de cette luxuriante nature. Elle disait ce qui lui plaisait ; elle pensait, parlait, agissait comme elle le voulait ; elle apprenait ce qui lui faisait plaisir, et, en grandissant, elle devint une jeune femme brillante, impétueuse, aussi affectueuse, aussi généreuse que sa mère ; mais son caractère était animé d’un feu natif qui lui donnait une certaine originalité. Assez généralement, les petites filles laides dans leur enfance deviennent belles en devenant femmes, et c’est ce qui arriva à Aurora. À dix-sept ans, elle était deux fois aussi belle que sa mère l’avait été à vingt-neuf ; mais elle avait la même irrégularité de traits, compensée par une paire d’yeux semblables aux étoiles de ciel, et par deux rangées de dents blanches d’une perfection sans égale. Quand on la regardait en face, on ne pouvait guère remarquer que ses yeux et ses dents ; car ils vous éblouissaient, vous aveuglaient au point de vous empêcher de critiquer son petit nez douteux ou la grandeur de sa bouche souriante. Quand elle relevait les touffes de sa riche chevelure noir de corbeau, elle laissait voir un front trop bas pour être conforme au type ordinaire de la beauté. Un phrénologue aurait dit que sa tête avait de la noblesse ; un sculpteur aurait ajouté qu’elle était posée sur le cou d’une Cléopâtre.

Mlle Floyd connaissait très-peu l’histoire de sa pauvre