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AURORA FLOYD

sa situation précaire obligeait à un service domestique et qui ressentait toute l’amertume de cette situation. On eût dit Lara rentré dans ses domaines pour dresser les chevaux d’un usurpateur. Il avait l’air, en un mot, de toute autre chose que ce qu’il était réellement : un misérable égoïste, bon à rien, et paresseux, qui avait étudié à fond l’art de faire le moins d’ouvrage possible contre le maximum des gages.

Il rentra lentement à son logement rustique, où il trouva l’idiot qui l’attendait. De l’eau bouillait sur une poignée de bois flambant, et une théière et une tasse étaient préparées sur la petite table ronde. Conyers jeta un regard méprisant sur ces humbles préparatifs.

— Je vous ai préparé du thé, — dit l’idiot ; — j’ai pensé qu’il vous plairait d’en prendre une tasse.

L’entraîneur haussa les épaules.

— Je n’y suis guère habitué, et je n’ai pas grand goût pour cette eau sale, — dit-il en riant ; — j’en ai trop bu quand j’étais dans l’entraînement, half-and-half, thé chaud, huile de foie de morue. Je t’enverrai demain à Doncastre, chercher des spiritueux, mon garçon ; ou peut-être ce soir, ajouta-t-il après réflexion, le coude appuyé sur la table et le menton dans le creux de sa main.

Il demeura quelques instants dans cette attitude. Hargraves l’examinait attentivement, avec cette demi-surprise, cette sorte d’admiration avec lesquelles une laide créature, assez laide pour avoir conscience de sa laideur, en regarde une autre douée d’une grande beauté.

Quand sa rêverie fut passée, Conyers prit une lourde montre en argent, et resta pendant quelques minutes à en contempler vaguement le cadran.

— Il est près de six heures, — fit-il enfin. — À quelle heure dîne-t-on au château, Steeve ?

— À sept heures, — répondit l’idiot.

— Sept heures. Alors tu auras le temps d’y courir avec une lettre, et tu y seras juste au moment où on se mettra à table.

L’idiot jeta sur son nouveau maître des regards d’épouvante.