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AURORA FLOYD

une bonne nuit, et s’enfonça lentement dans les ombres du crépuscule, et sous l’arcade formée par les arbres de l’avenue. Il quitta la grande allée du milieu, pour passer dans la contre-allée de gazon touffu qui la bordait, choisissant, avec un instinct de sybarite, les places les plus moelleuses. Voyez-le s’avancer lentement sous les nobles branches, dans le calme solennel de ce splendide coucher de soleil, le visage éclairé parfois d’un rayon égaré, parfois ombragé par la voûte de verdure. Il est merveilleusement beau, merveilleusement et parfaitement beau ; c’est bien l’idéal de la beauté physique, sans le moindre défaut de proportion, comme si chacune des lignes de son visage et de son corps eût été mesurée par le compas d’un sculpteur, et ciselée par la main d’un artiste inspiré. C’est un homme au sujet de la beauté duquel il ne peut s’élever de contestation, dont la perfection doit être reconnue par la soubrette comme par la duchesse, — qu’elles soient ou non tentées d’admirer ; cependant c’est plutôt un type de beauté sensuelle, que cette splendeur de lignes et de couleur privée du charme de l’expression. Regardez-le, maintenant qu’il s’arrête pour se reposer, regardez-le s’appuyant contre le tronc d’un arbre, et fumant son cigare avec un plaisir nonchalant, pour ainsi dire. Il pense. Ses yeux d’un bleu foncé, plus sombres en raison des cils épais qui les frangent, sont à demi fermés, et ils ont une expression mi-rêveuse, mi-sentimentale, qui pourrait vous faire croire que l’homme rêve à la beauté de ce splendide coucher de soleil. Il songe tout bonnement aux pertes qu’il a faites sur la Chester Cup, aux gages qu’il recevra de Mellish, et au casuel qui pourra lui échoir dans sa nouvelle situation. Vous lui supposez des pensées en rapport avec la teinte de ses yeux et le modèle exquis de sa bouche et de son menton ; vous le dotez d’un esprit aussi esthétiquement parfait que son corps et son visage, et vous reculez en découvrant combien est vulgaire la lame enfouie dans cette gaine magnifique. Conyers n’est peut-être pas pire que d’autres hommes de son état ; mais il ne vaut décidément pas mieux. Seulement il est beaucoup plus beau ; et vous n’avez pas le droit de