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AURORA FLOYD

très-affectée, son médecin lui recommanda le changement d’air ; ce qui fait que M. et Mme Mellish partirent pour Harrogate le 28 juin, laissant le château à la garde de Mme Powell.

La veuve de l’enseigne avait été scrupuleusement tenue éloignée de la chambre d’Aurora pendant la courte maladie de celle-ci, et gardée à vue par John, qui fermait froidement la porte au nez de la bonne dame, en lui disant qu’il soignerait lui-même sa femme, et que, quand il aurait besoin de quelqu’un, il sonnerait la femme de chambre de Mme Mellish.

Mais Mme Powell, étant affligée de cette curiosité commune aux personnes qui vivent chez les autres, se trouva sérieusement froissée par cette conduite systématique. Il y avait des secrets et des mystères sous roche, et on ne lui permettait pas de les deviner. Il y avait un squelette dans la maison, et on ne voulait pas lui laisser voir cette horreur anatomique. Elle flairait le trouble et les peines comme les carnivores flairent leur proie ; et cependant, elle, qui haïssait Aurora, ne serait point admise à cette fête du mal.

Pourquoi donc les domestiques dans une maison sont-ils si avides de savoir tout ce qui se dit et se fait, les manières, les habitudes, les joies et les douleurs de ceux qui les emploient ? Est-ce parce que, ayant renoncé pour eux-mêmes à tout rôle actif dans la vie, ils prennent un intérêt malsain à ceux qui luttent au plus épais de la mêlée ? Est-ce parce que, arrachés par la nature même de leurs occupations aux liens et aux plaisirs de la famille, ils puisent un malicieux plaisir dans les épreuves et les vexations de la famille et dans les brises orageuses qui troublent fréquemment l’atmosphère domestique ? Souvenez-vous de ceci, maris et femmes, pères et fils, mères et filles, frères et sœurs, que, lorsque vous vous querellez, vos gens se réjouissent. Assurément ce souvenir devra suffire pour vous faire tenir en paix les uns avec les autres. Vos domestiques écoutent aux portes et répètent vos paroles de dépit à la cuisine ; ils ont les yeux sur vous quand ils vous servent à table : ils comprennent les sarcasmes, les allusions les plus intimes, chacun de vos regards,