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AURORA FLOYD

s’occupait de tout ce qu’on peut imaginer, mais jamais plus de deux minutes du même objet : heureuse, généreuse, affectueuse, elle considérait la vie comme un glorieux jour de fête, et remerciait Dieu de la lui avoir faite si douce et si agréable.

Pastern commençait par s’excuser d’avoir tant tardé à écrire. Il avait perdu l’adresse de la personne qu’il avait voulu recommander, et avait dû attendre que l’homme lui écrivît.

« Je crois qu’il vous conviendra tout à fait, continuait la lettre, car il connaît parfaitement son métier, et il a une grande expérience comme groom, comme jockey et comme entraîneur. Il n’a pas plus de trente ans, mais il a éprouvé dernièrement un accident qui l’a rendu boiteux pour le reste de ses jours. Il a presque été tué dans un steeple-chase en Prusse et est resté près d’une année dans un hôpital de Berlin. Il s’appelle James Conyers, et l’on peut avoir des renseignements chez… »

John leva les yeux sur sa femme ; la lettre tomba de ses mains. Ce n’est pas un cri qu’elle laissa échapper, c’était le râle d’un être qu’on étrangle, mille fois plus terrible que ces cris perçants qui sortent de la gorge des femmes en détresse.

— Aurora… Aurora !…

Il la regardait, et son visage s’altéra et pâlit à la vue du sien. Une transformation terrible s’était opérée en elle pendant la lecture de cette lettre ; sa surprise n’eût pas été plus grande si, en levant les yeux, il eût vu une autre personne à la place d’Aurora.

— Non !… non !… s’écria-t-elle d’une voix étouffée. — Vous avez mal lu… ce ne peut être ce nom- !

— Quel nom ?

— Quel nom ?… — répéta-t-elle avec feu, le visage éclairé d’une fureur sauvage. — Ce nom !… je vous dis que cela ne se peut pas… Donnez-moi cette lettre.

Il lui obéit machinalement ; il prit le papier et le lui tendit, mais sans quitter des yeux son visage.