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AURORA FLOYD

geois qui se présentaient au château avec un mot au crayon de la main de Mme Mellish. Mme Powel risquait quelquefois auprès d’Aurora une observation sur la folie et l’inutilité de ce qu’elle appelait instinctivement des aumônes ; mais Mme Mellish versait alors de tels flots d’éloquence sur son antagoniste, que la veuve de l’enseigne se hâtait toujours de cesser une lutte aussi inégale. Jamais personne n’avait pu discuter avec la fille d’Archibald Floyd. Impétueuse et subissant sa première impression, elle avait toujours suivi son idée, pour le bien comme pour le mal, et personne n’avait été assez fort pour l’en empêcher.

Revenant par cette belle matinée de juin d’une de ces charitables expéditions, Mme Mellish mit pied à terre devant le petit tourniquet d’une route conduisant dans le bois, et ordonna au groom de conduire l’animal à l’écurie.

— J’ai envie de me promener dans le bois, Joseph, — dit-elle ; — il fait si beau ce matin. Ayez bien soin de Mazeppa, et si vous voyez M. Mellish, dites-lui que je vais rentrer de suite.

L’homme porta la main à son chapeau, et s’éloigna, conduisant en main le cheval d’Aurora.

Mme Mellish rassembla les plis de sa robe et s’enfonça dans le bois, à l’ombre duquel Talbot et Lucy s’étaient promenés par ce fameux jour d’avril qui avait décidé du sort de la jeune fille.

Aurora avait choisi ce chemin pour rentrer au château, parce que, se sentant parfaitement heureuse, la chaude splendeur de ce jour d’été la remplissait d’un charme indéfinissable qu’elle craignait de rompre trop tôt. Le bourdonnement continu des insectes, la riche verdure des bois, les émanations parfumées des fleurs, le murmure de l’eau, tout contribuait à former un ensemble délicieux qui faisait de la terre un séjour vraiment enchanteur.

Il y a aussi une sorte de satisfaction que procure la possession ; et Aurora sentait, en contemplant les longues avenues, et au loin à travers les clairières le vaste parc et les pelouses immenses, et plus loin encore cette construction pittoresque et irrégulière, en partie gothique et en partie