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AURORA FLOYD

— Je suis… bien aise… de vous voir si heureuse, madame Mellish.

Elle jeta sur lui ses yeux francs et confiants dans l’éclat desquels il ne restait pas une ombre.

— Oui, — dit-elle, — je suis heureuse, bien heureuse. Mon mari est bien bon pour moi. Il m’aime… et il a confiance en moi.

Elle ne put résister au désir de lui infliger ce coup… la seule vengeance qu’elle tira jamais de lui ; mais c’était un coup qui le perça jusqu’au cœur.

— Aurora !… Aurora !… Aurora !… — s’écria-t-il.

Ce cri à demi étouffé révéla le secret de blessures qui n’étaient pas encore cicatrisées. Mme Mellish pâlit en entendant ce cri sortir de son âme. Cet homme est encore malade ; il faut le guérir, pensa-t-elle. L’heureuse épouse, sûre de la force de son amour et de sa confiance, ne pouvait supporter la vue de ce pauvre garçon toujours emporté par le courant.

Elle ne désespérait aucunement de sa cure, car l’expérience lui avait appris que si la fièvre d’amour prend plusieurs formes, il n’y en à que bien peu qui soient incurables. N’avait-elle pas elle-même passé par ce supplice sans qu’il restât une seule cicatrice pour témoigner de ses anciennes blessures ?

Elle laissa Bulstrode regarder tristement par la fenêtre, et s’éloigna pour préparer le plan qui devait ranimer cette pauvre âme abattue.

Elle courut d’abord dire à John sa découverte, ainsi qu’elle avait coutume de lui dire toutes choses, qu’elles fussent importantes ou futiles.

— Mon cher bon vieux Jack, — dit-elle, — c’était une autre de ses habitudes de lui donner toutes sortes d’appellations exagérées de tendresse ; il se peut que ce fût pour le repos de sa propre conscience, bien convaincue qu’elle le tyrannisait ; — mon cher ami, j’ai fait une découverte.

— Au sujet de quoi ?

— Au sujet de Bulstrode.