Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
182
AURORA FLOYD

elle était réellement heureuse et si elle l’avait tout à fait oublié. Ils retournèrent tous ensemble à Mellish Park : Aurora, John, Floyd, Lucy, Bulstrode et Hunter. Ce dernier officier était un jovial gentleman au nez crochu et aux favoris châtains ; c’était un homme dont la force intellectuelle n’avait rien de foudroyant ; mais c’était aussi un gai compagnon, un hôte agréable dans une honnête maison de campagne, où tous sont les bienvenus.

Talbot ne pouvait s’empêcher de s’avouer intérieurement qu’Aurora était à la hauteur de sa nouvelle position. Comme chacun l’aimait ! Elle soulevait pour ainsi dire autour d’elle, partout où elle allait, une atmosphère de bonheur. Quels aboiements de joie les chiens poussaient à sa vue ! Comme ils sautaient, rompant leurs chaînes dans les efforts qu’ils faisaient pour se rapprocher d’elle ! Comme les juments et les pouliches accouraient sans frayeur à la grille de l’enclos pour lui souhaiter la bienvenue, penchant leurs naseaux veloutés qu’ils appuyaient sur son épaule, ou répondant aux mouvements de sa main caressante ! En voyant tout cela, comment Talbot pouvait-il ne pas se souvenir que ce même rayon de soleil aurait pu luire sur un castel désolé, bien loin vers l’occident où l’on voit le soleil sortir de la mer ? Elle aurait pu être à lui, cette belle créature ; mais à quel prix ? Au prix de l’honneur, au prix de l’abandon de tous les principes qui avaient formé pour lui le type de la pureté et de la perfection, de l’idéal pur et sans tache rêvé pour la femme de son choix. Il aurait pu céder dans un moment de faiblesse ; il aurait pu être heureux, heureux du bonheur du fumeur d’opium, mais non de la félicité rationnelle d’un chrétien. Merci au Ciel pour la force qui lui avait été donnée d’échapper aux filets soyeux ! Merci au Ciel pour le pouvoir qui lui avait été donné de soutenir cette lutte !

Debout auprès d’Aurora dans L’embrasure d’une des fenêtres de Mellish Park, portant son regard au loin sur les taillis au milieu desquels les cerfs aiment à s’étendre paresseusement sous les rayons du soleil d’avril, il ne put réprimer la pensée constante de son esprit.