Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
AURORA FLOYD

Ce grave patriarche, c’était John Pastern.

J’écris son nom avec respect, de même que chacun le répétait tout bas en cet endroit. Enfin, quand ce nom eut passé de bouche en bouche, tous les assistants surent qu’un grand homme se trouvait parmi eux. C’était un vieillard bien tranquille, sans prétention, assis entre deux femmes, sa femme et sa fille, je pense, froid, posé, grave, tandis que son nom faisait les frais des conversations dans la foule rassemblée autour de lui, et que des milliers d’individus mettaient leur confiance dans sa subtilité et sa pénétration. Quelles paroles précieuses auraient pu tomber de ses lèvres d’oracle, si le vieillard eût bien voulu les prononcer ! Combien de centaines de livres eussent été volontiers pariées pour un mot, un regard, un geste, un clin d’œil, rien qu’un plissement significatif des lèvres de ce grand homme ! Que vaut, près d’une vérité comme celle-là, la fable de la jeune femme de la bouche de laquelle sortaient des perles et des diamants lorsqu’elle parlait ! Ils devraient être d’une belle grosseur les diamants et les perles qui vaudraient les secrets des écuries de Richmond, les secrets que pourrait divulguer Pastern s’il le voulait. Peut-être est-ce cette conviction qui lui donne une gravité de manières si calme, si sereine, presque cléricale. On l’approche, on le flatte, on lui dit que tel ou tel cheval sorti de ses écuries a gagné ou paraît sûr de gagner, et il fait de la tête un signe complaisant pour remercier de ce bienveillant renseignement ; et pendant ce temps-là, peut-être ses pensées sont bien loin sur les dunes d’Epsom, ou dans les plaines de Newmark ; et il rêve à remporter les prix des Derbys et des Deux mille à venir avec des poulains n’ayant encore jamais couru.

Mellish est sur le pied de l’intimité avec le grand homme, auquel il présente Aurora, et à qui il demande avis sur un sujet qui le tracasse depuis quelque temps. Son entraîneur perd sa santé et a besoin d’aide à l’écurie ; l’assistance d’un homme plus jeune, honnête et capable lui est indispensable. Pastern connaît-il un garçon qui puisse remplir ces conditions ?