Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
AURORA FLOYD

vrai ; elle avait été effectivement battue jusqu’à un certain point ; mais elle avait montré une puissance d’arrêt qui promettait mieux pour l’avenir que la vélocité de tout coursier de deux ans. Quand la cloche sonna le signal de sortir sur la piste, Aurora, son père et Lucy étaient placés au balcon, entourés d’une foule d’amis. Mme Mellish, un crayon à la main, inscrivait, dans sa surexcitation, toute sorte de paris impossibles, et en composait un carnet qu’on aurait dû conserver comme une curiosité dans les annales du sport. John allait et venait en bas dans l’enceinte, culbutant les petits enregistreurs de paris dans son agitation, s’élançant du ring à l’enceinte du pesage, et tournant autour du courtaud pâlot qui devait monter la pouliche, d’un air aussi anxieux que si le jockey eût été un premier ministre, et John un père de famille avec une demi-douzaine de fils ayant besoin de places du gouvernement. Je tremble en pensant aux nombreux boni, sous forme de billets de 5 livres, que John promit au garçon à la figure blême, à condition que l’enjeu (quelque petite chose montant à 60 livres environ) serait remporté par la pouliche baie Aurora. Si le jeune drôle n’avait pas appartenu à cette catégorie d’êtres surnaturels qui semblent nés avec un caractère que rien ne peut émouvoir et faits pour porter la casaque de soie pour le bien de leurs semblables, son cerveau eût certainement été bouleversé par la diversité des instructions contradictoires que John lui donna pendant le dernier quart d’heure critique ; mais ayant, ce jour-là, de grand matin, reçu les ordres de l’entraîneur qui y avait ajouté l’avis de ne pas se laisser embêter (synonyme, dans le patois du pays, de démonter) par tout ce que pourrait dire Mellish, le garçon au teint basané se promenait dans la calme sérénité de l’innocence : il y a d’honnêtes jockeys sur la terre, Dieu merci ! et il se posa sur sa selle avec un pouls aussi égal que s’il fût monté dans un omnibus.

Il y avait ce jour-là dans le Stand des gens qui regardaient le visage d’Aurora avec autant de plaisir que les pelouses unies du Knavesmire ou les meilleurs coursiers du comté d’York. S’oubliant entièrement elle-même dans son