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AURORA FLOYD

nait aucun mélange nuisible ; car plus le grand jour approchait, plus il avait les nerfs agacés et redoutait pour sa pouliche quelque danger secret, quelque trame occulte de spéculateurs malveillants qui pouvaient en avoir entendu parler à Londres. Je crains bien que spéculateurs et parieurs ne se mettaient guère la tête à l’envers à propos de cette gracieuse cavale de deux ans, bien qu’elle eût dans les veines du sang de Old Melbourn et de West Australian, sans rien dire de l’autre teinte aristocratique qu’elle tenait du côté maternel. Les méfiants gentlemen qui circulaient aux alentours d’York et de Doncastre, dans les premiers jours d’avril, étaient beaucoup trop occupés des sujets que devaient envoyer aux courses lord Glasgow, John Scott, lord Zetland, ou M. Merry, et d’autres coureurs d’une égale distinction, pour avoir le temps de rôder du côté de Mellish Park, ou de jeter un coup d’œil dans cette prairie que le jeune homme avait fait entourer d’une haie de 8 pieds de haut pour la jouissance privée de la triomphatrice du Derby en espérance. Lucy reconnaissait dans la pouliche la plus belle des créatures, et affirmait qu’elle était bien faite pour gagner autant de coupes et de pièces de vaisselle plate qu’on pourrait en offrir dans les concours de chevaux ; mais elle était enchantée, une fois la visite quotidienne terminée, de se trouver parfaitement à l’abri de la portée de ces fameuses jambes de derrière, qui semblaient posséder la faculté d’être dans les quatre coins de la stalle au même moment.

Le premier jour des courses arriva et trouva la moitié de la maison de Mellish installée à York : John et sa famille dans un hôtel près de l’endroit où l’on faisait les paris ; et l’entraîneur, ses satellites et sa pouliche, dans une petite auberge proche du Knavesmire. Floyd fit de son mieux pour s’intéresser à l’événement qui préoccupait si vivement ses enfants ; mais il avouait franchement à sa petite nièce, Lucy, qu’il souhaitait cordialement que les courses fussent finies et qu’on eût prononcé sur les mérites de la pouliche baie. Elle avait noblement soutenu l’épreuve, à ce que disait John ; elle n’avait pas gagné, grâce à une ruade, il est