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AURORA FLOYD

telligence du gentilhomme campagnard manifestait sa vivacité et sa pénétration. Talbot était devenu à moitié fou à se figurer ce que ce pouvait être ; John vit ce que c’était, et il vit ou s’imagina voir que la femme qu’il aimait était digne de tout son amour, et il lui donna volontiers, librement, son repos et son honneur à garder.

Il trouva sa récompense. Il trouva sa récompense dans la franche affection de sa femme et dans la délicieuse satisfaction de voir qu’elle était heureuse : aucun nuage ne voilait son visage, aucune ombre n’assombrissait son existence ; mais la joie rayonnait sans cesse dans ses yeux, un sourire inaltérable errait sans cesse sur ses lèvres. Elle était heureuse de la calme sécurité de son intérieur, dans cette forteresse agréable où elle était si bien protégée, si bien gardée par l’amour et le dévouement. Je ne sache pas qu’elle éprouvât jamais un amour romanesque et enthousiaste pour son mari, mais ce que je sais, c’est que, du moment qu’elle posa sa tête sur sa large poitrine, elle lui fut fidèle ; fidèle comme doit l’être une épouse, fidèle dans toutes ses pensées, dans la moindre même de ses pensées. Son foyer domestique était entouré d’un gouffre profond qui la séparait de tout autre homme au monde, et la laissait seule avec l’homme qu’elle avait accepté pour époux. Elle l’avait accepté dans le plus vrai et le plus pur sens du mot. Elle l’avait accepté de la main de Dieu comme le protecteur et le refuge de sa vie, et matin et soir, à genoux, elle remerciait le Créateur miséricordieux qui lui avait donné cet homme pour soutien.

Après avoir exposé tout cela, je dois avouer que le pauvre John était un mari diablement soumis. Ces gros gaillards fougueux sont nés pour être les sujets les plus endurants du royaume du cotillon ; ils portent des guirlandes de roses jusqu’à leur dernière heure, sans avoir conscience, dans leur sublime sérénité, que ces chaînes de fleurs ne sont pas faciles à briser. Un petit homme est entier, susceptible, toujours sur ses gardes contre la domination féminine ; tous les maris connus dans l’histoire comme des tyrans domestiques, ont été de petits hommes ; mais qui pourrait jamais