Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
165
AURORA FLOYD

existant dans l’étendue du domaine. Elle fut surprise de voir la brillante animation de sa joue, la vive gaieté qui étincelait dans ses yeux, d’entendre la légèreté de son pas, la joyeuse musique de son rire, de découvrir, enfin, qu’au lieu de pleurer sur les cendres éteintes de l’amour qu’elle avait éprouvé pour Bulstrode, Aurora avait appris à aimer son mari.

Devons-nous avoir honte de notre héroïne, la blâmer d’avoir oublié le fiancé qui avait mis son orgueil et son amour-propre de famille entre lui et son affection, et ne l’avait aimée qu’avec réserve, quoique Dieu seul sache de quel amour il l’avait aimée ? Y a-t-il lieu de rougir de cette pauvre jeune fille passionnée parce que, dans l’amertume de son cœur, poussée par un sentiment de soulagement et de gratitude, elle avait cherché un refuge dans l’amour loyal de John, et avait appris à éprouver pour lui une affection capable de le récompenser au centuple de son long et pénible dévouement ? Certes, il eût été impossible à toute femme douée d’un cœur franc et sincère, de refuser pareille rémunération à un amour semblable à celui que Mellish prodiguait à son épouse, amour qui absorbait toutes ses pensées, et se manifestait par toutes ses paroles, toutes ses actions et tous ses regards. Pouvait-elle donc ne jamais acquitter cette dette immense ? Les cœurs comme celui de Mellish sont-ils si communs ici-bas ? Est-ce peu de chose que d’être l’objet d’une affection si loyale et si pure ? Pareille affection est-elle si souvent mise aux genoux d’une femme, qu’elle doive mépriser et fouler aux pieds cette sainte offrande ?

Il l’avait aimée, et, qui plus est, il avait eu confiance en elle. Oui, il avait eu confiance en elle, au moment où l’homme qui l’aimait passionnément l’avait abandonnée dans le doute et le désespoir. La cause de cette diversité de conduite résidait dans la différence qui existait entre les deux hommes. Chez Mellish, le sentiment de l’honneur était aussi élevé et aussi sévère que chez Bulstrode ; mais, tandis que le fier officier puisait sa force mentale dans les facultés réflectives, c’était par sa puissance de perception que l’in-