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AURORA FLOYD

assez de bon sens pour savoir que son pain quotidien dépendait du soin qu’il en prenait ; mais gare à tout intrus qui se trouvait sur son chemin. Aurora s’élança sur lui comme une belle tigresse, et, saisissant le collet de sa veste de futaine dans ses petites mains, elle le cloua à la place où il était debout. Il n’était pas aisé de secouer l’étreinte de ces mains effilées, crispées par la colère ; et Hargraves, pris complétement à l’improviste, regarda avec effroi celle qui l’assaillait. Plus haute d’un pied et demi que le garçon d’écurie, Aurora le dominait ; les joues pâles de fureur, les yeux étincelants de rage, son chapeau tombé à terre et ses cheveux noirs épars sur ses épaules, elle était sublime dans son courroux.

L’homme se prosterna sous l’étreinte de cette impérieuse créature.

— Lâchez-moi !… — dit-il convulsivement de sa voix étouffée, à laquelle son agitation donnait le son d’un sifflement ; — lâchez-moi, ou vous vous en repentirez… lâchez-moi !

— Comment avez-vous osé !… — s’écria Aurora, — comment avez-vous osé lui faire du mal ?… Mon pauvre chien !… Mon pauvre chien estropié… si faible !… Comment avez-vous osé faire cela ?… Lâche poltron ! misérable que vous êtes !…

Sa main droite lâcha le collet de l’habit d’Hargraves, et fit pleuvoir sur ses larges épaules une grêle de coups de sa légère cravache, un véritable hochet, dont le bout doré était orné d’émeraudes, mais qui cinglait comme une verge d’acier flexible dans cette petite main.

— Comment avez-vous osé !… — répéta-t-elle plusieurs fois.

Et ses joues pâles devinrent écarlates, en raison de l’effort qu’elle faisait pour tenir l’homme d’une main. À ce moment ses cheveux dénoués lui tombaient à la ceinture, et sa cravache était brisée à une demi-douzaine d’endroits.

Mellish, entrant par hasard au même instant dans la cour des écuries, devint blême d’horreur en voyant cette belle Furie.