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AURORA FLOYD

s’illuminer tout de suite, Aurora, — dit John, en faisant signe à l’homme d’écurie d’approcher. — Viens ici, Steeve. Mme Mellish désire que tu boives à sa santé.

Il jeta un souverain dans la large main musculeuse de l’homme, une vraie main de gladiateur, avec une chair calleuse et des nerfs de fer. Les yeux rouges de Steeve étincelèrent pendant que ses doigts se refermaient étroitement sur la pièce de monnaie.

— Je vous remercie bien, madame, — dit-il en portant la main à sa casquette.

Sa voix basse et étouffée contrastait si étrangement avec la force physique que dénotait son extérieur, qu’Aurora recula en tressaillant.

Malheureusement pour ce pauvre idiot, dont la personne était repoussante en elle-même, cette voix sourde, concentrée, avait quelque chose qui provoquait un dégoût instinctif chez ceux qui l’entendaient pour la première fois.

Il porta de nouveau la main à sa casquette de laine toute grasse, et retourna lentement à son ouvrage.

— Comme il a le visage blême ! — dit Aurora. — A-t-il été malade ?

— Non, il a toujours été pâle comme cela depuis sa chute. J’étais trop jeune lorsque cela est arrivé, pour bien m’en souvenir ; mais j’ai entendu dire à mon père que, lorsqu’on rapporta le pauvre diable à la maison, son visage, qui auparavant était coloré, était blanc comme une feuille de papier, et que sa voix, jusque-là forte et sonore, s’était abaissée jusqu’au sourd murmure que vous venez d’entendre. Les médecins ont fait tout ce qu’ils ont pu, et l’ont sauvé d’une terrible fièvre cérébrale ; mais ils n’ont jamais pu lui rendre sa voix ni ses couleurs.

— Pauvre garçon ! — dit Mme Mellish avec bonté, — il mérite bien qu’on ait pitié de lui.

En disant cela, elle se reprochait le sentiment de répugnance qu’elle ne pouvait surmonter. C’était une répugnance qui touchait de près à la terreur ; il lui semblait qu’elle ne pourrait guère être heureuse à Mellish Park tant que cet homme y habiterait. Elle était presque disposée à prier son