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AURORA FLOYD

malveillant ni injuste, sans doute ; car on n’a pas le droit d’en vouloir à un homme, parce qu’il a un vilain regard, de longues touffes de poils roux et hérissés qui se rencontrent sur le dos de son nez, et de gros pieds cagneux, qui semblent écraser et détruire tout ce qui se trouve sur leur passage. Telle était la pensée d’Aurora, lorsque, quelques jours après son arrivée au Park, elle vit Hargraves pour la première fois sortir de la sellerie ayant une bride passée dans le bras. Elle s’en voulut du tressaillement involontaire qui la fit reculer à la vue de cet homme, qui, à une petite distance, était en train de polir les ornements de cuivre d’un harnais, et regardait furtivement Mme Mellish qui, appuyée sur le bras de son mari, parlait à l’entraîneur des poulains qui paissaient dans les prairies en dehors du Park.

Aurora demanda quel était cet homme.

— Son nom est Hargraves, madame, — répondit l’entraîneur, — mais nous l’appelons Steeve. Il est un peu toqué, comme nous disons ici, mais il se rend utile dans les écuries quand cela lui plaît ; car il est d’un caractère un peu bizarre, et personne de nous n’a jamais été capable d’avoir le dessus sur lui, comme monsieur le sait.

Mellish se prit à rire.

— Non, — dit-il ; — Steeve fait à peu près à sa guise dans les écuries, à ce que je crois. Il y a vingt ans, c’était le groom favori de mon père ; mais il a fait une chute à la chasse, il s’est blessé à la tête, et depuis il n’a jamais été tout à fait bien. Naturellement ce malheur, joint à la considération que mon père avait pour lui, lui donne des droits à notre bienveillance, et nous endurons ses bizarreries, n’est-ce pas, Langley ?

— Oui, monsieur, — dit l’entraîneur, — quoique, sur mon honneur, j’aie quelquefois peur de lui, et que je pense qu’un beau jour il se lèvera au milieu de la nuit et assassinera quelqu’un de nous.

— Pas avant que quelqu’un de vous ait gagné un plein chapeau d’argent, Langley. Steeve aime trop l’argent pour assassiner quelqu’un pour rien. Vous allez voir sa figure