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AURORA FLOYD
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avec mes extravagances inconsidérées. Si j’étais comme cette chère petite Lucy, qui est si réfléchie maintenant…

Et, haussant les épaules et sans finir la phrase commencée, Mme Mellish bannit de son esprit ce sujet sans importance.

On ne peut s’attendre à voir des êtres nobles, courageux, prendre ombrage des gens calmes. Cependant, dans les grands drames de la vie, ce sont les gens calmes qui font le mal. Iago n’était pas un personnage bruyant, quoique, Dieu merci ! ce n’est plus la mode de le représenter comme un fourbe rampant à qui le plus insensé des Maures n’aurait pu se fier.

Aurora jouissait d’une vie paisible. Les tempêtes qui avaient failli faire naufrager sa barque inexpérimentée étaient passées, et l’avaient laissée sur un rivage sûr et fertile. Les chagrins qu’elle avait causés à son père, quels qu’ils fussent, n’avaient pas été mortels ; et le vieux banquier paraissait très-heureux, lorsqu’il vint, au mois d’avril, voir le jeune couple à Mellish Park. Parmi tous les familiers de ce vaste manoir, il n’y avait qu’une personne qui ne faisait pas chorus avec l’enthousiasme général quand on parlait de Mme Mellish, et cette personne occupait un rang si insignifiant, que les domestiques ses camarades ne se souciaient guère de son opinion. C’était un homme de quarante ans environ, qui était né à Mellish Park, et qui rôdait dans les écuries depuis son enfance, faisant toute espèce de petites besognes pour les grooms, et passant, quoique un peu idiot dans les affaires ordinaires, pour un connaisseur très-expert en fait de chevaux. Cet homme se nommait Stephen ; on l’appelait plus communément Steeve Hargraves. C’était un gaillard trapu, à larges épaules, ayant une grosse tête, une figure pâle et effarée, une figure dont la pâleur cadavéreuse semblait presque surnaturelle, des yeux d’un brun rougeâtre, et des sourcils roux et épais, formant une espèce de voûte au-dessus de ses yeux dont l’expression ordinaire était sinistre. C’était un de ces individus qu’on dit généralement avoir la mine repoussante, dont on se recule avec un sentiment instinctif de dégoût, nullement