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AURORA FLOYD

tion ; des actes touchants de tendre charité qu’elle avait faits en secret ; son indépendance, qu’elle avait conservée, malgré toute sa pauvreté et ses rudes épreuves ; ils lui racontèrent une centaine d’anecdotes sur sa bonté, qui lui firent monter le sang au visage d’orgueil et de généreuse émotion. Elle-même lui fit le simple récit de son existence ; elle lui dit qu’elle était la fille d’un Capitaine de navire marchand appelé Prodder ; qu’elle était née à Liverpool ; qu’elle se souvenait peu de son père, qui était presque toujours en mer, ni de son frère, son aîné de trois ans, qui, après s’être querellé avec son père, le Capitaine, avait disparu, et dont on n’avait plus entendu parler, ni de sa mère qui était morte, quand elle, Éliza, était âgée de dix ans. Le reste fut relaté en peu de mots. Elle avait été recueillie dans la famille d’une tante, qui tenait une boutique d’épicerie dans la ville natale de Mlle Prodder. Elle avait appris à faire des fleurs artificielles ; mais elle n’avait pas mordu à ce genre de travail. Elle allait souvent dans les théâtres de Liverpool, et l’idée lui vint qu’elle aimerait à monter sur les planches. Comme elle était jeune, hardie et énergique, un beau jour elle avait quitté la maison de sa tante, était allée droit chez le régisseur d’un des petits théâtres, et l’avait prié de la laisser jouer le rôle de lady Macbeth. Le régisseur lui rit au nez ; mais il lui dit que, en considération de sa belle prestance et de ses beaux yeux noirs, il lui donnerait quinze shillings par semaine pour figurer : terme technique dont il se servait pour désigner l’emploi des femmes qui circulent sur le théâtre tantôt vêtues en paysannes, tantôt en costumes de cour confectionnés avec de la cotonnade garnie d’or, et qui regardent d’un air distrait tout ce qui se passe sur la scène. Après avoir été comparse quelque temps, Éliza commença à jouer de petits rôles refusés avec indignation par les actrices qui lui étaient supérieures : de ces rôles modestes, elle se lança dans l’arène tragique, où elle sut se maintenir sans encombre pendant neuf ans, jusqu’à la veille du vingt-neuvième anniversaire de sa naissance, où le destin jeta le riche banquier sur son chemin, et où, dans l’église paroissiale d’une petite ville de