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AURORA FLOYD

Elle savait son discours de début par cœur, quoiqu’il eût été prononcé à propos d’un projet de loi de nature à ne pas exciter le plus mince intérêt, et dans lequel les mines du pays de Cornouailles étaient vaguement confondues avec le cadastre national ; et elle aurait pu le répéter aussi exactement que son plus jeune frère aurait pu déclamer une harangue aux « Romains, concitoyens et amis. » Aurora pouvait l’oublier, et bassement épouser un blond habitant du comté d’York ; pour Lucy, le monde ne renfermait que ce chevalier au visage sombre, avec ses sévères yeux gris et sa jambe raide. Aussi la pauvre Lucy aimait et était reconnaissante envers sa brillante cousine de cette inconstance qui avait amené un pareil changement dans le programme des noces joyeuses qui devaient se célébrer à Felden. La jeune et belle confidente, la demoiselle d’honneur pouvait maintenant assister à la cérémonie de bonne grâce. Elle ne se traînait plus comme un cadavre vivant ; mais elle prenait de tout cœur l’intérêt d’une femme à cette affaire, et était vivement engagée dans une discussion relative aux mérites respectifs du rose et du bleu pour les chapeaux des demoiselles d’honneur.

Le bruyant bonheur de Mellish semblait contagieux et animer l’air qu’on respirait dans le grand château de Felden. Le robuste André était enchanté du choix de sa jeune cousine. On ne lui refusait plus de l’accompagner à la chasse ; mais la moitié du comté déjeunait à Felden, et la longue terrasse et les jardins resplendissaient d’habits rouges.

Pas une ride ne troubla le paisible cours de ces courtes fiançailles. L’habitant du comté d’York s’appliquait à se rendre agréable à toutes les personnes de la famille de sa divinité aux yeux noirs. Il flattait leurs faiblesses, satisfaisait leurs caprices, étudiait leurs désirs, et leur faisait une cour si insidieuse, que je crains bien qu’on ne fît des comparaisons suscitées par l’envie entre John et Talbot, au désavantage du jeune et fier officier.

Il était impossible que la moindre querelle s’élevât entre les deux fiancés ; car John suivait partout sa maîtresse,