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AURORA FLOYD

tait comme un fait considérable, prodigieux, comme la lune et les étoiles répandant leur lumière sur les parterres rustiques et les allées garnies d’espaliers, pendant les nuits embaumées du mois de juin.

Ainsi cette société tranquille coulait lentement et dans un calme monotone des jours paisibles. Aurora portait son fardeau en silence ; elle supportait sa peine avec le noble courage particulier aux riches organisations comme la sienne ; et personne ne savait si le serpent avait été arraché de son sein, ou s’était fait une demeure permanente dans son cœur. Les soins les plus diligents du banquier ne pouvaient approfondir ce mystère féminin, mais il y avait des moments où Floyd osait espérer que sa fille était en paix, et que Bulstrode était presque entièrement oublié. En tout cas, il était sage de se tenir loin de Felden : aussi Floyd proposa-t-il à sa fille et à Mme Powell un voyage en Normandie. Aurora y consentit, avec un tendre sourire et en serrant doucement la main de son père. Elle devina le motif du vieillard, et reconnut l’amour vigilant qui cherchait à l’éloigner du théâtre de son chagrin. Mellish, qui n’avait pas été invité à être de la partie, tomba dans un tel transport lorsqu’on lui en parla, qu’il aurait fallu avoir le cœur bien dur pour refuser son escorte. Il connaissait, disait-il, chaque coin de la Normandie, et il promettait d’être extrêmement utile à Floyd et à sa fille, ce qui semblait fort douteux, vu que c’était en assistant aux steeple-chases de Dieppe qu’il avait appris ce qu’il connaissait de la Normandie, et que sa science dans la langue française était fort limitée. Mais, malgré tout cela, il s’arrangea pour tenir sa parole. Il alla à Londres et engagea un courrier accompli, qui conduisit la petite société d’une ville dans un village, d’une église à des ruines, et qui pouvait toujours trouver des chevaux de relais normands pour les énormes voitures de voyage du banquier. Les voyageurs allèrent d’endroits en endroits jusqu’à ce que de légères teintes roses revinssent animer d’éclairs passagers les joues d’Aurora. Le chagrin est terriblement égoïste. Je crains que Mlle Floyd n’ait pris jamais en considération les ravages dont le noble et honnête cœur de Mellish pouvait être victime.