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AURORA FLOYD

tement. C’était un vrai plaisir pour elle que de se coucher, enveloppée dans des châles, sur un sofa recouvert de perse, la fenêtre ouverte, écoutant les bruits champêtres venant de la cour jonchée de paille située de l’autre côté de la haie, ayant près d’elle son fidèle Bow-wow, qui allongeait ses grosses pattes de devant sur les coussins étendus à ses pieds. Le bruit de la cour de la ferme était plus agréable à l’oreille d’Aurora que les inflexions monotones de la voix de Mme Powell ; mais, comme cette dame considérait de son devoir de lire tout haut pour récréer la malade, Mlle Floyd était trop bonne pour avouer combien elle était lasse de Marmion, de Childe Harold, d’Evangeline et de la Reine de Mai, et combien, dans l’état actuel de son esprit, aux vers les plus sublimes qu’ait jamais composés poète mort ou vivant, elle aurait préféré écouter une dispute animée entre une couvée de canards autour de la mare de la ferme, ou une légère querelle dans le toit à porcs. La pauvre fille avait beaucoup souffert, et ce rétablissement lent, cette réparation graduelle de ses forces avait un certain charme qui affectait mollement ses sens. Sa nature renaissait en même temps que la brillante et salutaire saison d’été. Comme les arbres du jardin déployaient une nouvelle vigueur et une beauté nouvelle, de même la superbe vitalité de sa constitution revenait avec une grande partie de sa force d’autrefois. Les cruelles blessures avaient laissé des cicatrices après elles, mais elles ne l’avaient pas tuée après tout ; elles ne l’avaient même pas changée entièrement, car des reflets de l’Aurora d’autrefois se faisaient jour de plus en plus chez la pâle convalescente ; et Floyd, dont la vie n’était guère qu’une existence par réfraction, sentait renaître ses espérances lorsqu’il regardait sa fille. Lucy et sa mère étaient retournées à la villa de Fulham, et avaient repris leurs devoirs de famille, de sorte que la société de Leamington se composait seulement d’Aurora, de son père et de cette pâle ombre de la bienséance, la blonde veuve de l’enseigne. Mais ils ne furent pas longtemps sans recevoir une visite. Mellish, ayant adroitement surpris le banquier dans un moment d’agitation et de con-