Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
AURORA FLOYD

inquiète s’empara de nouveau de son esprit et dissipa sa terreur. Pourquoi était-il si prompt à douter d’elle ? Quel misérable lâche il était de la soupçonner, de soupçonner cette jeune fille, dont l’âme candide s’était si librement ouverte à lui, dont tous les accents respiraient la vérité ! Car, dans ses relations avec Aurora, la qualité qu’il avait surtout appris à respecter dans son caractère, c’était sa sublime candeur. Il rit presque au souvenir de la lettre de sa mère. C’était si bien le fait de ces simples gens de la campagne, dont les existences ont toujours été bornées aux limites étroites d’un village de Cornouailles ! c’était si bien leur fait de faire des montagnes de véritables taupinières ! Qu’y avait-il de si surprenant dans ce qui était arrivé ? L’enfant gâtée, l’héritière volontaire et capricieuse s’était lassée d’une pension étrangère et s’était sauvée. Son père, ne désirant pas que cette escapade de jeune fille fût connue, l’avait placée quelque part ailleurs, et avait tenu sa folie secrète. Qu’y avait-il d’un bout à l’autre, dans toute cette affaire, qui ne fût parfaitement naturel et probable, pour peu qu’on prît, comme on devait le faire, en considération les circonstances exceptionnelles dans lesquelles tout cela était arrivé ?

Il pouvait se figurer Aurora, les joues enflammées et les yeux lançant des éclairs, jetant une page de thèmes barbouillés à la face de son maître de français, et s’enfuyant de la salle d’étude au milieu d’un grand tumulte et d’un babil difficile à apaiser. La belle et fougueuse créature ! Dans la femme qu’il aime, il n’est rien qu’un homme ne puisse admirer, et Talbot inclinait presque à admirer Aurora pour s’être sauvée de la pension.

Le premier coup de cloche pour le dîner avait sonné pendant que Bulstrode était en proie à ce supplice, de sorte que toutes les pièces et tous les corridors étaient déserts quand il alla chercher Aurora, ayant la lettre de sa mère cachée dans sa poitrine.

Elle n’était pas dans la salle de billard, ni dans le salon ; mais il la trouva enfin dans un petit boudoir, au bout de la maison, lequel avait une fenêtre cintrée qui donnait sur le parc. Cette pièce était faiblement éclairée par une lampe sur