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AURORA FLOYD

Mais je sais, continuait cette lettre impitoyable, que le sentiment de l’honneur est l’élément le plus fort de votre nature, et que, à quelque point que vous ayez aimé cette jeune fille (Ô Dieu ! elle parlait de son amour au passé !), vous ne vous laisserez pas enferrer dans une fausse position par faiblesse d’affection. Un mystère plane sur la vie d’Aurora Floyd.

Cette phrase était à la fin de la première page ; et avant que la main tremblante de Talbot eût pu tourner la feuille, tous les doutes, toutes les craintes, tous les pressentiments qu’il avait jamais éprouvés lui revinrent à l’esprit, en prenant un caractère de netteté et de précision surnaturelles.

Constance Trevyllian est arrivée hier ; et vous pouvez vous imaginer que, dans le cours de la soirée, on a parlé de vous et de votre mariage.

Maudits soient leurs frivoles cancans de femmes ! Talbot froissa la lettre dans sa main, et il fut sur le point de la jeter loin de lui ; mais non, il fallait qu’il la lût. Il devait affronter l’ombre du doute, lutter avec elle et la vaincre, ou il n’y avait plus de repos pour lui sur la terre. Il continua de lire la lettre.

J’ai dit à Constance que Mlle Floyd avait été élevée rue Saint-Dominique, et je lui ai demandé si elle se souvenait d’elle. « Quoi ! a-t-elle dit, est-ce la demoiselle Floyd qui a fait tant de bruit ? cette Floyd qui s’est sauvée de la pension ? » Et elle m’a raconté, Talbot, qu’une Mlle Floyd avait été amenée par son père chez les demoiselles Lespard, il y a eu un an au mois de juin dernier ; et que, moins d’une quinzaine après son arrivée à la pension, elle avait disparu. Sa disparition, cela va sans dire, fit grand émoi parmi les autres élèves, à qui elle fournit ample matière à jaser, et l’on dit qu’elle s’était sauvée. On assoupit cette fâcheuse affaire autant que possible ; mais vous savez que des jeunes filles ne peuvent retenir