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Tu riras, sans doute, mon cher Isaac, de pareilles impertinences, & tu ne sçauras décider lequel est le plus fou, ou de celui qui les écrit, ou de celui qui les croit. Voici encore un trait divertissant, que j’ai lû dans la vie de ce François. Il étoit en Lombardie ; & se trouvant un peu incommodé, il mangeoit un Vendredi à son souper un chapon qui avoit sept ans. Il en donna une cuisse à un pauvre, qui lui demanda l’aumône pour l’amour de Dieu, & qui voulant lui jouer un mauvais tour, garda la cuisse jusqu’au lendemain que le saint prêchoit. Il la montra alors au peuple. Voyez, leur dit-il ; quelle chair mange le frere que vous honorez comme un saint ; car il me la donna hier au soir. Mais le membre de chapon fut vû de tous être poisson : si qu’il fut blâmé comme forcené de tout le peuple ; & quand il vit cela, il eut honte, & requit pardon. [1]

Tu vois, mon cher Isaac, que ce François avoit l’art de fasciner les yeux des peuples. J’ose te dire, que ses enfans n’ont rien perdu des talens de leur pere, & qu’ils sçavent leur persuader que de grands vauriens sont de vrais religieux.

  1. Vie de S. François