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en parlant des rhétoriciens, font moins de mal ; car c’est chose de peu de perte de ne les voir pas en leur nature : là où ceux-là font état de tromper, non pas nos yeux, mais notre jugement & d’abâtardir & corrompre l’essence des choses. Les républiques qui se sont maintenues en un état réglé & bien policé, comme la Crétense & la Lacédémonienne, n’ont pas fait grand cas de l’orateur. [1]

Cette passion, si ordinaire aux sçavans,de ne louer que la science à laquelle ils s’appliquent, n’est-ce pas une preuve évidente, que la vanité, le desir de la gloire & de l’ambition ont plus de part à leurs travaux que l’amour de la sagesse. S’ils ne travailloient que pour instruire les hommes, ou ils ne s’appliqueroient qu’aux choses absolument utiles ; ou dès qu’ils cultiveroient celles qui sont plus curieuses que profitables, ils loueroient également toutes les sciences, & ne donneroient aucune préférence à celle dans laquelle ils croient exceller. Mais comme ils regardent que l’estime qu’on en fait influe sur celle qu’ils espérent acquérir, l’amour-propre unit leurs intérêts avec les siens. Le philosophe pense, que plus la philosophie sera respectée, plus aussi il le sera.

  1. Essais de Michel de Montaigne, Liv. I. Chap. XV. pag. 607.