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C’est avec ces aveux en poche que Me Sigebert avait plaidé auprès du curé de Saint-Philippe-du-Roule l’irresponsabilité du suicidé…

Pensif, il replie méticuleusement la lettre, qu’il insère dans son portefeuille, et soupire :

— Le malheureux garçon !… Il y a de la vérité là-dedans, et à tout prendre il n’est pas sans excuse. Seulement c’est cette pauvre petite… Tout ça, dirait Léonie, c’est bien malheureux.

Ce rappel d’une locution familière à la philosophie assez courte de Mme Sigebert pour synthétiser toutes les vicissitudes humaines, depuis un rôti brûlé jusqu’à une catastrophe mondiale, ramène l’esprit du notaire vers des objets positifs et domestiques. Dans quelle chambre installera-t-on l’orpheline ? La maison est grande, mais nombreuse la famille. Enfin, on se serrera. Puis les affaires de son étude lui reviennent en tête. Cependant il est las. Ses idées se brouillent. Il se couche et bientôt sa respiration sonore marque que le repos est venu de tant d’émotions et de fatigues.

À l’extrémité opposée de l’appartement, en une fraîche chambre laquée crème et pékin pompadour, toute la nuit, Louise s’efforce de dormir. Cela fait partie de sa résolution de courage, car elle n’a pas le droit de tomber malade. Hors d’état néanmoins de vaquer à aucuns soins pratiques, elle s’en est remise sur la femme de chambre du nécessaire à préparer pour son départ. Stimulée par les bonnes paroles que Joseph avait rapportées à l’office, celle-ci l’a assurée que tout serait fait.

Dévêtue, étendue sur le lit, dans la pénombre de la pièce faiblement éclairée par une petite lampe, l’orpheline appelle le sommeil qui flotte autour de ce corps épuisé, l’effleurant de son aile, puis s’éloignant, puis revenant, la jetant dans de brefs assoupissements que coupent de brusques retours à la connaissance.