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une règle aveugle ; c’est un art qui exige, chez celui qui l’exerce, de l’adresse et du savoir faire. En effet, parmi toutes les transformations possibles d’une formule, l’algébriste doit choisir celle qui est appropriée au calcul qu’il entreprend[1], et il peut faire ce choix plus ou moins pertinemment. Pour résoudre une équation, dit l’Indien Bhaskara, « on prépare adroitement deux membres en équilibre, en ajoutant, retranchant, multipliant ou divisant »[2] : la règle n’en dit pas plus long : à l’algébriste de voir par lui-même comment il apprêtera son équation.

Nous comprenons maintenant quelles sont les conditions auxquelles il faut satisfaire pour être un habile algébriste. Il faut savoir oublier la signification des éléments combinés pour ne plus faire attention qu’au mécanisme de la combinaison. Il faut considérer les formules comme des assemblages, que l’on retourne en tous sens, que l’on compose de toutes les manières — par la djebr, par la moukabalah ou d’autres procédés — afin de faire apparaître de nouvelles combinaisons intéressantes. L’algébriste jongle avec les formules ; il les triture, il les pulvérise, suivant l’heureuse expression employée par Brahmagoupta pour désigner une méthode fondamentale de son algèbre : « celui qui connaîtra l’usage de la méthode pulvérisatrice, des chiffres, des quantités négatives et positives, de l’élimination du terme moyen [transformation utilisée dans la théorie des équations], des symboles et expressions [algébriques],

  1. Excogitanda ab artifice — dit Viète (De recignitione æquationum ap. Opera Mathem., Leyde, 1646, p. 92) — et tentanda, quæ suo fini magis inservire conjiciet figmenta.
  2. Cité par Rodet, Journal asiatique, t. XI, 1878, p. 17.