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création de l’algèbre. Les Grecs au contraire, se fermèrent cette voie en séparant par une cloison étanche le domaine de la rigueur théorique et celui des calculs techniques.

Mais il y a plus : la Mathématique spéculative des Grecs ne se contentait pas de répudier le calcul des grandeurs concrètes : elle paraissait condamner également tout un ordre de calculs, fondamental à nos yeux, et qui pourtant a un caractère purement théorique : le calcul des grandeurs géométriques abstraites, considérées en dehors de toute représentation physique.

C’est là un fait qui a eu de graves conséquences historiques et qu’il importe dès lors de bien mettre en évidence.


Les premiers mathématiciens de la Grèce n’avaient pu manquer de découvrir la parenté si remarquable qui unit les propriétés des nombres et celles des figures. Nous avons vu que l’arithmétique de Pythagore est en grande partie fondée sur cette découverte. Représentant les nombres par des points alignés, Pythagore constate, par exemple, que le produit d’un nombre par lui-même est figuré par un carré, que la somme des premiers nombres impairs peut être figurée par un triangle, etc. Il est ainsi conduit à concevoir une Mathématique où l’arithmétique et la géométrie sont fondues l’une dans l’autre, et c’est là sans doute ce que veut exprimer la célèbre formule pythagoricienne lorsqu’elle affirme que « toutes les choses sont nombres ». Mais, à peine cette affirmation est-elle lancée que surgit tout à coup une grave difficulté, tenant à l’existence des longueurs incommensurables.

Le nombre, essence idéale, objet de l’arithmétique théorique, est d’abord exclusivement le nombre entier.