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rie d’abord, l’appliquer ensuite à des objets divers. Mais, si l’on admet avec les Grecs que le calcul appliqué ne doit pas être cultivé comme un fruit de la science théorique, mais bien comme un art ou une technique indépendante, il n’y a plus aucune raison pour lui interdire des procédés d’exposition qui, s’ils choquent le théoricien, sont susceptibles en revanche de présenter certains avantages pratiques. La logistique et la géodésie, opérant dans un domaine qui leur est propre, ne sauraient être assujetties aux mêmes règles que la Mathématique pure. Elles auront pleinement rempli leur rôle si par les moyens les plus commodes elles résolvent les problèmes concrets qui leur sont proposés.

Il est intéressant de constater que ce caractère de la science utilitaire se perpétua chez les calculateurs à travers tout le Moyen-Âge. Au xve et xvie siècle encore, alors que la notion d’équation est latente dans tous les esprits, cette notion ne parvient pas à se dégager clairement parce que les algébristes s’obstinent à étudier séparément des problèmes qui, posés sous des formes différentes se résolvent cependant par des équations du même type. De là la multitude incroyable des problèmes que nous présentent, sous des noms pittoresques, les grands traités d’algèbre de la Renaissance, par exemple celui de Paciuolo[1] : « Problème des bœufs », « Problème des lapins », « Problème des sept vieilles femmes » etc.

Il n’en est pas moins vrai que c’est par la pratique constante de l’arithmétique appliquée, et par le souci qu’ils ont eu de perfectionner cet art en lui donnant le caractère d’une méthode générale, que les savants modernes furent conduits sur la voie qui devait aboutir à la

  1. Luca Paciuolo, Summa de Arithmetica, Venise, 1494.