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prix entendre parler. Il avait, nous l’avons dit, rompu tous les ponts entre la science spéculative et la science appliquée. Cette superbe intransigeance, qui avait tout d’abord favorisé les études théoriques en les préservant de tout contact impur, se trouva en fin de compte être la cause qui en arrêta les progrès. Il convient, croyons-nous, d’insister sur ce point et de revenir, dans ce but, un peu en arrière ; nous nous mettrons ainsi en mesure d’expliquer en quoi les modernes se sont principalement séparés de la tradition grecque et quelles furent les conséquences de leurs innovations.


III. — L’étude mathématique des grandeurs.

Tous, certes, ou presque tous, nous pensons aujourd’hui comme les Grecs que la science théorique est affaire de spéculation pure et qu’elle doit être cultivée pour elle-même, indépendamment de toute considération concrète ou utilitaire. Mais, les plus grands savants modernes estiment, d’autre part[1], qu’une fois parvenue à son terme la théorie doit pouvoir donner lieu à des applications pratiques et se justifier ainsi elle-même — après coup — en prouvant qu’elle n’est pas un vain jeu de notre esprit. Au contraire, il semble que les Grecs se soient complu à dresser une barrière infranchissable entre la science proprement dite, ou spéculative[2], et les mathématiques appliquées, comprenant l’art du cal-

  1. Cf. Émile Picard, La Science moderne et son état actuel, p. 9.
  2. Platon (Le Politique, 3), opposant la science de l’action (ou de commandement) à la science spéculative, dit de l’homme qui exerce la première : « Mais il ne doit pas, je pense, quand il a porté son jugement, considérer sa tâche comme finie et se retirer à l’exemple du calculateur ». Ce dernier, par contre, a terminé sa tâche lorsqu’il a étudié une théorie.