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Tel est le résultat que la géométrie euclidienne s’est proposée d’atteindre. Et sans doute a-t-elle été bien près de réussir puisqu’elle est restée pendant deux mille ans la bible mathématique de l’humanité. Néanmoins son insuffisance finit par être reconnue et les géomètres la délaissèrent pour s’engager dans des voies nouvelles. Quelle fut donc la raison principale de ce déclin ? Il est curieux de constater que c’est la perfection même et l’harmonie interne de cette œuvre qui en ont probablement causé la faiblesse et en ont déterminé la chute.

Il y a certes une grande élégance à vouloir, comme Euclide, satisfaire du même coup deux besoins différents de l’esprit mathématique. Mais quelle preuve avons-nous a priori que ce soit là chose possible ? La géométrie, en tant que fin, est l’héritière de la science pythagoricienne : elle cherche à noter les plus belles propriétés des figures les plus parfaites. Or sont-ce bien ces mêmes propriétés qui rendront le plus de service, en tant que moyens, pour la démonstration ? Il serait fort souhaitable qu’il en fût toujours ainsi. Malheureusement, cette coïncidence ne se produit pas. Et voilà pourquoi l’admirable unité que les Grecs avaient donnée à la science n’a pas pu être sauvegardée par les modernes. Pour passer des données d’un problème à la solution, il faut souvent recourir à des intermédiaires qui ne sont point dignes d’occuper eux-mêmes une place dans l’édifice de la science. Constructions artificielles, inharmonieuses, dépareillées, qui, souvent même, sont choquantes pour la raison et lui paraissent absurdes au premier abord. C’est ainsi qu’à côté de la science contemplative, une technique a dû se développer, dont le but est strictement utilitaire, et qui vise seulement à accroître par tous les moyens possibles la puissance de la démonstration. Or, d’une technique de ce genre, le penseur hellénique ne voulait à aucun