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rôle auxiliaire. Mais les Grecs ont vite pris goût à cette méthode pour elle-même, et ils en ont fait l’un de leurs objets d’étude préférés. C’est là le fait remarquable qui domine l’histoire de la science hellénique. De la nécessité où est l’homme d’exposer l’une après l’autre les vérités géométriques au lieu de les embrasser toutes d’un même coup d’œil, les géomètres ont tiré le principe d’un système scientifique qui est, en lui-même, l’un des plus beaux monuments de la pensée scientifique.

Ce système a trouvé dans les Éléments d’Euclide son expression la plus complète. Or, pour comprendre exactement la signification de cet ouvrage, il importe de se bien rendre compte du double objet qu’il poursuit.

« Le terme d’Éléments — dit Paul Tannery[1] d’après Proclus — s’applique proprement à ces théorèmes qui, dans toute la géométrie, sont primordiaux et principes de conséquences, qui s’appliquent partout et fournissent les démonstrations de relations en grand nombre. » Ainsi les Éléments d’Euclide jouent à la fois le rôle de fin et le rôle de moyen : fin puisqu’ils sont destinés à faire connaître les théorèmes essentiels — les plus beaux — de la géométrie : moyen[2], parce que les solutions toutes préparées qu’ils nous offrent sont les instruments avec lesquels nous pourrons effectuer la démonstration de nouveaux théorèmes. Souci de la beauté de l’objet et souci de la beauté de la démonstration viennent ici se réunir dans une même œuvre et se prêtent une aide mutuelle.

  1. La Géométrie grecque, p. 150. — De nombreux « Éléments » avaient été composés en Grèce avant ceux d’Euclide, notamment les Éléments d’Hippocrate de Chios (vers 400 av. J.-C.) aujourd’hui perdus.
  2. Ce second rôle était également rempli par un ouvrage annexe, les Data, qui servait de complément aux Éléments.