Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nombre ou d’une figure ne devra son mérite qu’à elle-même et non aux circonstances, souvent remarquables, dans lesquelles elle se révèle à nous, ou à l’intérêt de la poursuite qui permet d’en prendre possession.

« Dix — déclarait Speusippe[1]dix est parfait, et c’est à juste titre, et conformément à la nature que les Hellènes se sont, sans préméditation aucune, rencontrés avec tous les hommes de tous les pays pour compter suivant ce nombre ; aussi possède-t-il plusieurs propriétés qui conviennent à une telle perfection[2]. » — La perfection serait donc, d’après les Grecs, une qualité intrinsèque des idées, que l’on peut reconnaître à l’abondance des propriétés qui en découlent. S’il en est ainsi, il sera évidemment naturel de faire des propriétés des idées mathématiques les plus parfaites l’objet ultime de nos spéculations.

Plus encore que les nombres isolés tels que dix, certains groupements de nombres présentent un grand caractère de beauté. Il y a, dans le monde des nombres, comme dans celui des sons, certaines harmonies, certains accords qui s’imposent à notre attention : tels sont les rapports de proportionnalité, les différentes sortes de médiétés[3], les relations existant entre certains nombres et

  1. Cité, d’après les Théologoumènes de Jamblique, par Paul Tannery, Pour l’histoire de la science hellène, p. 386
  2. En effet, le nombre dix renferme autant de nombres pairs que de nombres impairs (cinq), il renferme autant de nombres premiers (1, 2, 3, 5, 7) que de nombres non-premiers (4, 6, 8, 9, 10), il est égal à la somme des quatre premiers nombres 10 = 1 + 2 + 3 + 4, et il a bien d’autres propriétés dont Speusippe fait l’énumération.
  3. Théon de Smyrne distinguait dix sortes de médiétés pouvant avoir lieu entre trois nombres a, b, m. Les trois principales sont la médiété arithmétique (qui a lieu lorsque am = mb), la médiété géométrique (qui a lieu lorsque m² = a × b), la médiété harmonique (qui a lieu lorsque 2 × a × b = m × (a + b).