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Qu’est-ce que la construction géométrique ? Il est à peine besoin de faire observer que cette opération n’a rien de commun avec la construction concrète telle que la pratiquaient les arpenteurs de l’Orient. C’est une opération rationnelle, qui doit permettre d’établir et de vérifier l’existence théorique de figures sur lesquelles on raisonne[1]. Pour atteindre ce but, le moyen le plus simple consiste évidemment à construire effectivement la figure, ou plutôt à définir un procédé théorique qui permettrait de la construire si l’on savait parfaitement dessiner.

Nous admettrons comme un fait d’intuition que nous savons, en toutes circonstances, tracer une droite indéfinie dont sont donnés deux points, et une circonférence dont on connaît le centre et un point (ou, si l’on veut, le centre et le rayon). Cela revient à dire, pour parler un langage matériel, que nous savons en

  1. Dans les traités didactiques de géométrie, cette notion de l’ « existence » des figures prend une signification technique extrêmement précise. Toute figure nouvelle doit, en effet, être introduite par une définition, c’est-à-dire par l’énoncé des propriétés spécifiques dont elle jouit. Or une telle définition n’est évidemment légitime que si les propriétés assignées à la nouvelle figure sont compatibles entre elles, peuvent exister simultanément. S’il en était autrement, la figure introduite par la définition serait une impossibilité logique ; elle n’ « existerait pas ». Ainsi, par exemple, si je proposais d’appeler « triangle birectangle » un triangle dont deux angles sont droits, je définirais une figure inexistante, car, étant donné que les trois angles d’un triangle quelconque ont pour somme deux droits, il est impossible que deux de ces angles soient respectivement égaux à un droit. Il suit nécessairement de là que toute définition doit être complétée par une discussion, établissant l’existence de la chose définie, c’est-à-dire la compatibilité des différentes propositions contenues dans la définition. Toutefois cette interprétation logique du problème de l’ « existence » ne peut-être donnée que lorsque l’on se réfère à l’appareil démonstratif de la Science, dont pour le moment nous nous efforçons de faire abstraction.