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préhension exacte et en découvrir les propriétés ? Par quel moyen, d’autre part, nous assurerons-nous que tel être géométrique, dont certains raisonnements nous font entrevoir l’existence possible, existe réellement ?

Il fallait, pour donner des bases solides, à la géométrie, trouver un critère précis permettant de discerner et de circonscrire les notions qu’il est légitime de faire entrer dans cette science. Une autre raison, d’ailleurs, rendait nécessaire l’adoption d’un tel critère. On en avait besoin pour canaliser le flot trop abondant de nos intuitions. En proclamant, en effet, le caractère purement intellectuel de la Science, on se heurtait immédiatement à un écueil : si vraiment le développement de la recherche scientifique n’a d’autres bornes que celles de notre puissance d’invention, la mathématique, alors, au lieu de former un édifice harmonieux et bien ordonné, ne va-t-elle pas se disperser, projeter des pousses en tous sens, et s’égarer dans l’arbitraire ? Il y a là, pour le savant qui réfléchit, une difficulté troublante. Le mathématicien a conçu à l’avance une Science idéale, aux conteurs bien tracés, et voilà qu’à peine au travail il a l’impression que son esprit déborde de tous côtés hors de ces contours. C’est pourquoi les Grecs se sont trouvés conduits à limiter volontairement le champ de leurs explorations mathématiques. Ils l’ont fait d’une manière ingénieuse, sans doute, mais beaucoup trop étroite au gré des géomètres modernes.

Le critère généralement utilisé par les Grecs pour distinguer les notions qui seront admises en géométrie leur fut fournit par la théorie de la construction. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler les grandes lignes de cette théorie, nous trouvons une excellente illustration des principes qui dirigeaient la pensée mathématique de la Grèce.