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tels qu’ils sont en eux-mêmes, sans jamais souffrir que ses calculs roulent sur des nombres visibles ou palpables ». Ainsi, la science n’a nullement pour rôle, comme le pourraient croire des ignorants, de servir aux marchands et aux négociants pour les ventes et pour les achats, mais bien de faciliter à l’âme la route qui doit la conduire de la sphère des choses périssables à la contemplation de la vérité[1].


Quels sont exactement les objets qu’étudie la Science ainsi conçue, quels problèmes se pose-t-elle, et de quelle manière résout-elle ces problèmes ?

Il est moins facile qu’on ne pourrait le supposer de répondre d’une manière précise à ces trois questions.

Si les Grecs, en effet, ont étudié avec prédilection le problème philosophique de la connaissance, par contre ils ne nous ont donné nulle part le plan de leur Science, ils ne nous ont légué aucun programme d’ensemble, indiquant la composition de l’édifice mathématique tel qu’ils le comprenaient et tel qu’ils se proposaient de le réaliser. Nous possédons, il est vrai, un bon nombre de leurs traités techniques. Mais ceux-ci ne mettent en évidence que l’un des aspects — et non, peut-être, le plus essentiel — de la conception hellénique de la science. On sait, en effet, que les Platoniciens établissaient une séparation profonde entre le « discours » et l’ « intelligence », entre la science écrite, qui est un exposé didactique de vérités déjà connues, et la conception des vérités scientifiques, produit direct de notre faculté d’intuition s’exerçant sur le monde des notions idéales. — Cherchons cependant à dégager les caractères principaux de l’œuvre mathématique des Hellènes, considérée

  1. Cf. République, VII.