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comme les objets d’une science rigoureuse et purement rationnelle, c’est à la condition de ne voir en elles qu’une forme extérieure et accidentelle ; et, quand nous analysons ces expressions et figures, ce n’est pas en réalité sur elles que portent nos raisonnements mais bien sur les notions idéales, éternelles, dont elles sont la couverture. Voilà ce que doit comprendre tout homme qui a étudie les rudiments de la géométrie. « Aucun de ceux — dit Platon[1] que l’on peut considérer comme le porte-parole des géomètres du ve siècle, — aucun de ceux qui ont la moindre teinture en géométrie, ne nous contestera que le but de cette science n’a absolument aucun rapport avec le langage que tiennent ceux qui la traitent. — Comment cela ? — Leur langage est fort plaisant quoiqu’ils ne puissent s’empêcher d’en user. Ils parlent de quarrer, de prolonger, d’ajouter, et ainsi du reste, comme s’ils opéraient réellement et que toutes leurs démonstrations tendissent à la pratique ; tandis que cette science n’a tout entière d’autre objet que la connaissance. — Cela est vrai. — Conviens encore d’une chose. — De quoi ? — Qu’elle a pour objet la connaissance de ce qui est toujours et non de ce qui naît et périt. — Je n’ai pas de peine à en convenir ; car la Géométrie a pour objet la connaissance de ce qui est toujours. — Par conséquent, elle attire l’âme vers la vérité, elle forme en elle l’esprit philosophique, en l’obligeant à porter en haut ses regards, au lieu de les abaisser, comme on le fait sur les choses d’ici-bas. — Rien n’est plus certain. »

L’Arithmétique, comme la Géométrie, a « la vertu d’élever l’âme en l’obligeant raisonner sur les nombres

  1. République, VII. Ce passage de la République, capital pour l’intelligence de la Mathématique platonicienne, a été fréquemment cité et commenté par Gaston Milhaud dans ses leçons sur la science grecque.