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fondre l’ordre de la démonstration et celui de l’enseignement ; moyennant cette distinction, il espère pouvoir rapprocher le premier de ces ordres de l’ordre de l’invention.

Si, cependant, l’on admet les résultats de l’étude que nous avons faite dans les chapitres précédents, on sera conduit à une conclusion un peu différente et un peu plus complexe.

L’opposition fondamentale est bien, selon nous, comme le soutenaient les Platoniciens, entre la vérité objective des faits mathématiques et les conditions de la connaissance ; mais, tandis que l’on est fondé à placer au premier rang de ces dernières l’ordre de la démonstration, on ne saurait parler d’un ordre objectif, d’un ordre de l’être. En effet, c’est, nous l’avons vu, le propre de la construction logique et algébrique d’introduire un ordre dans une matière qui n’en comporte pas par elle-même. Le principe de la démonstration consiste à sérier les questions et à classer suivant une suite unilinéaire, en les enchaînant les unes aux autres, des propriétés qui sont en effet solidaires, mais entre lesquelles, du point de vue de l’intuition, il n’y a aucune hiérarchie, aucun rapport de succession. Ainsi, on ne saurait admettre l’existence d’un ordre antérieur à la démonstration. Aussi bien n’avons-nous pu définir l’intuition que d’une manière négative, et nous ne saurions admettre, par conséquent, qu’il soit possible de l’isoler de la connaissance démonstrative ; dans toute spéculation mathématique, il y a une part de démonstration et c’est de cette part que nous devons faire relever l’ordre des propriétés sur lesquelles nous spéculons.

En d’autres termes, le conflit que nous croyons apercevoir au fond des théories mathématiques modernes et sur lequel nous avons longuement insisté, n’est point