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tout cas nous satisfaire si elle met fin au doute qui a fait naître le problème.

Il est vrai que les questions objectives que l’on peut ainsi se poser et les biais par où on peut les aborder sont en nombre illimité, et qu’ici encore un choix est nécessaire. Pour faire œuvre utile et progresser réellement dans l’exploration du monde mathématique, il faut se borner aux questions qui sont, à n’en pas douter, au travers de notre route, à celles que le développement de l’analyse, tel qu’il se produit en notre temps, impose directement et nécessairement à notre attention. Il faut, de plus, que les résultats obtenus par le chercheur soient de nature à soulager l’effort de ses successeurs : soit que ces résultats mettent en évidence des lois dont la connaissance déterminera, suivant l’expression de Mach et d’Henri Poincaré, une économie de pensée[1], soient qu’ils nous renseignent sur l’issue de certaines routes d’exploration et épargnent ainsi aux savants de l’avenir des hésitations et des démarches inutiles. Or, pour la détermination des questions qui remplissent de telles conditions, qui donnent lieu à de tels résultats, on ne saurait donner à l’avance aucune recette précise. Encore moins est-il possible de prévoir quels moyens de démonstration devront être mis en œuvre pour venir à bout de ces questions. C’est pourquoi le chemin qui mène aux grandes découvertes reste toujours incertain et aléatoire.

Mais, précisément, il résulte de notre conception de la science que ceux même qui n’aboutissent pas à des découvertes éclatantes peuvent néanmoins accomplir une œuvre féconde. Nous avons vu, en effet, que la

  1. H. Poincaré, L’Avenir des Mathématiques, réimprimé dans Dernières pensées, 1913.