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je me la suis posée. » Et quelle ne sera pas la joie du débutant s’il trouve la démonstration d’un théorème qui avait résisté aux efforts d’un savant illustre. Il est désormais hors d’atteinte, inaccessible à la critique, car il peut écrire fièrement « Le professeur Z. a été arrêté par telle difficulté : j’en ai triomphé. »

Le plus clair résultat de ces usages est une multiplication indéfinie des mémoires ou notes scientifiques, dans lesquels sont traités, sans unité de vues, les problèmes les plus disparates. Déjà Leibniz, relevant le défaut d’ordre et de méthode qui caractérisait — en son siècle — la recherche mathématique, se plaignait de « cette horrible masse de livres qui va toujours en augmentant » et qui ne peut que « dégoûter de la science » ceux qui seraient tentés de s’y adonner. Depuis lors, le flot des écrits n’a cessé de monter, et, pour en rendre le contenu utilisable, il a fallu créer des encyclopédies spéciales, des répertoires bibliographiques compliqués. Ainsi le xixe siècle a vu naître une nouvelle et dernière école de mathématiciens : celle des érudits qui, pour se tenir au courant de tous les mémoires publiés et de tous les petits faits signalés ici et là, ont dû introduire dans la science des grandeurs et des figures la méthode philologique.


Les constatations que nous sommes ainsi amenés à faire lorsque nous observons de dehors les méthodes de recherche des mathématiciens sont, à première vue, peu encourageantes. Pourtant il est indéniable que la science n’a cessé de réaliser depuis deux cents ans, et réalise chaque jour sous nos yeux, des progrès décisifs ; qui plus est, nous avons l’impression que, malgré maints tâtonnements, elle avance et évolue dans une direction précise. C’est que, peut-être, les mathématiciens sont en