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Comte[1]. Et, sans doute, si les physiciens n’empruntaient à la Mathématique que ses procédés de calcul et de synthèse logique, cette idée pourrait être défendue. Mais on sait que la Physique contemporaine est liée aux théories les plus nouvelles de l’Analyse, et notamment de l’Analyse fonctionnelle. Elle ne saurait donc fonder sa méthode sur une conception de la Mathématique qui ne répond plus à l’état actuel de cette science.

S’il fallait en croire les auteurs que nous avons cités, le mathématicien serait, en quelque sorte, le serviteur de la Physique. Or, c’est précisément ce que les conditions dans lesquelles s’effectue aujourd’hui la recherche mathématique nous empêchent d’admettre. Du moment, en effet, où la science mathématique a son objet propre — et un objet qui ne peut être dompté qu’au prix de longs efforts et par de multiples artifices — il est clair que la marche de cette science doit être déterminée d’après son objet et non d’après celui d’une science voisine. Sans doute le mathématicien aidera le physicien. Mais il faut, avant cela, qu’il mette de l’ordre et qu’il y voie clair dans son propre domaine. Si, comme on l’a pensé pendant un temps, la Mathématique était définitivement sortie de l’ère des difficultés, si, suivant l’expression de M. Bouasse, elle n’avait plus qu’à « dévider » les conséquences de ses principes, alors elle pourrait peut-être se mouler exactement sur les problèmes de la Physique. Mais plus que jamais, l’analyste a ses propres embarras à surmonter : le premier devoir qui lui incombe est donc, incontestablement, de dissiper ceux-ci.

  1. La méthode ainsi isolable n’est pas, bien entendu, selon Comte, celle de la logique formelle classique (Cf. Winter, la Méthode dans la philosophie des Mathématiques, p. 58), mais bien celle (logico-mathématique) que nous avons définie dans notre chapitre III.