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tion de Duhem nous paraît au contraire l’accentuer. En la lisant, on a sans cesse l’impression que l’on pourrait appliquer à la Mathématique ce que Duhem dit si bien de la Physique. C’est ce que nous allons chercher à montrer par quelques exemples.


Qualités premières. — Le théoricien de la Physique, dit Duhem[1], part d’un certain nombre de qualités premières qu’il traduit en notions mathématiques. Ces qualités, traitées comme irréductibles, le sont en fait, non en droit, et toujours à titre provisoire. Effectivement, il arrive fréquemment qu’une qualité, regardée à tort comme première, ne soit en réalité qu’une « combinaison de qualités déjà connues et acceptées ».

Point n’est besoin de commentaire pour appliquer ces vues aux notions mathématiques. C’est en effet par les mathématiciens qu’elles furent pour la première fois formulées, et Duhem se borne à les transporter dans le domaine de la Physique. Mais nous nous arrêterons un instant sur le mot « traduction » fréquemment employé par Duhem.

Le développement mathématique d’une théorie physique, — nous dit-on, — ne peut se souder aux faits observables que par une traduction, une version qui remplace le langage de l’observation concrète par le langage des nombres. « Mais qui traduit, trahit ; traduttore, traditore ; il n’y a jamais adéquation complète entre les deux textes qu’une version fait correspondre l’un à l’autre[2]. » — Ces remarques pourraient faire croire que le physicien est obligé de s’exprimer dans une langue étrangère tandis que le mathématicien parle sa

  1. Loc. cit., p. 200 et suiv.
  2. Loc. cit., p. 215.