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algébriques. Or, qui reprocherait à ces vieux auteurs de n’avoir pas suffisamment suivi l’ordre logique dans des ouvrages que nous ne lisons pas ? On ne demande qu’une chose aux créateurs, c’est d’avoir des idées, quitte à laisser à d’autres le soin de ranger ces idées à la place exacte qu’elles doivent occuper dans l’édifice logique de la science.

La seule question en litige est donc la suivante : quel est, dans la physique théorique, le principal instrument de la découverte ? Duhem ne veut pas que ce soit l’expérience car, dit-il, on ne peut établir expérimentalement une ou plusieurs lois physiques sans pécher à chaque instant contre la Logique. Il s’adresse donc aux Mathématiques. Mais, nous le demandons, les Mathématiques peuvent-elles être une science féconde et créatrice sans sortir, à leur tour, de la pure logique ? Certes, c’est un problème de savoir comment une science fondée sur les faits peut s’accorder avec la Logique. Mais Duhem ne résout pas ce problème : il ne fait que reculer la difficulté en la renvoyant de la Physique aux Mathématiques. S’il se trouvait qu’au regard de la Logique l’Analyse mathématique fût sujette aux mêmes infirmités que la méthode expérimentale, l’argumentation de Duhem serait tout au moins incomplète.

L’erreur commise par Duhem consiste, croyons-nous, à postuler que l’on peut opposer les vérités mathématiques aux faits physiques comme on oppose la théorie à la pratique. Or, si les conclusions de nos deux derniers chapitres sont exactes, la Mathématique pure ne serait nullement la science parfaite et exceptionnelle que suppose cette manière de voir, et le développement des parties les plus abstraites de cette science ressemblerait par de nombreux traits à celui des sciences expérimentales. Loin d’atténuer cette ressemblance, l’argumenta-