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sique. Ils ne consentent à raisonner, suivant une formule de Gustave Robin[1], « que sur des opérations réalisables ».

Contre une pareille doctrine, Duhem s’élève de toutes ses forces. Il adopte une attitude exactement opposée à celle de Gustave Robin. « Les exigences de la logique algébrique, écrit-il, sont les seules auxquelles le théoricien soit tenu de satisfaire. Les grandeurs sur lesquelles portent ses calculs ne prétendent point être des réalités physiques, les principes qu’il énonce dans ses déductions ne se donnent point pour l’énoncé de relations véritables entre ces réalités ». Selon Duhem, la confrontation entre la théorie mathématique et l’expérience ne doit venir qu’à la fin, lorsque la théorie est achevée. Aussi bien n’est-il pas possible de contrôler une théorie physique proposition par proposition au fur et à mesure de son développement : une théorie ne peut être examinée qu’en bloc parce qu’elle se compose de parties indissolublement liées les unes aux autres. « Le seul contrôle expérimental de la théorie physique qui ne soit pas illogique consiste à comparer le système entier de la théorie physique à tout l’ensemble des lois expérimentales et à apprécier si celui-ci est représenté par celui-là d’une manière satisfaisante ».

À l’appui de cette thèse, Duhem apporte une longue suite de preuves. Lorsque, dit-il, on cherche à interpréter en langage théorique une expérience de laboratoire, ce n’est pas une loi que l’on affirme, c’est un très grand nombre de lois. Pour faire une expérience il faut des instruments : or l’usage de l’instrument le plus simple suppose que l’on adhère à tout un ensemble de théories. S’agit-il, par exemple, d’interpréter exactement

  1. Cité par Duhem, p. 340.